La science économique au service de la société

Invitée PSE : Pascaline Dupas, spécialiste en économie du développement

Presque dix ans après votre thèse, vous revenez à PSE en tant qu’invitée : qu’attendez-vous de cette année à Paris ?
En réalité, j’ai quitté la France il y a presque 15 ans, pour effectuer ma thèse au sein du programme APE, mais depuis les Etats-Unis. Aujourd’hui, je reviens à l’occasion d’un congé sabbatique, afin de profiter de cette année sans charge d’enseignement pour faire avancer significativement mes recherches. PSE offre un environnement de travail très stimulant : je connaissais déjà l’équipe d’économie du développement, je compte profiter de cette communauté pour faire émerger de nouvelles idées d’études. Par ailleurs, la France est plus proche de l’Afrique : cela va me permettre de voyager davantage sur le terrain.

Pourriez-vous nous décrire votre méthode de travail ?
Tous mes travaux sont dits « appliqués » et la plupart comprennent une composante expérimentale : je fais varier l’environnement dans lequel les gens vivent pour tester des hypothèses très précises sur les facteurs déterminant les comportements. Cette méthode requiert, en amont, une forte capacité de réflexion et d’anticipation pour ne pas risquer de choisir un cadre théorique inapproprié ou d’introduire des biais dans l’expérience. J’échange beaucoup avec les acteurs locaux au cours de mes voyages : il en ressort des problématiques caractéristiques qui influencent mes choix d’hypothèses à tester. S’ensuit une phase de recherche des modèles qui pourraient décrire la situation. Enfin, la confrontation aux données du terrain révèle la pertinence ou non des intuitions, auquel cas il faut remettre le modèle en perspective ou réévaluer le poids des différents effets.

Pourriez-vous nous parler de vos recherches et de vos projets à venir ?

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Jusqu’à présent, mes recherches portent en grande partie sur les comportements individuels de santé dans les pays en développement, en particulier en Afrique sub-Saharienne. Si la santé est au cœur des préoccupations des ménages, la situation sanitaire reste un grave problème dans ces pays. Mais l’histoire des pays développés montre que les avancées majeures en matière de santé sont survenues grâce à la mise en place d’infrastructures avec économies d’échelle, telles que les systèmes d’assainissement ou d’assurance. Ainsi, dans les pays en développement, il faudrait davantage de grands programmes centralisés. Dès lors, il est question de politique économique et moins de comportements individuels. Mes nouveaux projets tournent justement autour de ces questions d’économie politique. J’espère analyser ce qui empêche la mise en place à succès de tels programmes.

Vous revenez d’un séjour au Ghana : pouvez-vous nous en dire un peu plus ?
En 2007, avec Michael Kremer et Esther Duflo, nous avons lancé un projet de financement des études secondaires de 682 jeunes ghanéens, choisis aléatoirement parmi 2064 jeunes admis au lycée mais ayant des difficultés à payer les frais de scolarité, compte tenu des faibles revenus des ménages ruraux au Ghana. Cette bourse d’études a permis à 75% des bénéficiaires de terminer leurs études secondaires, contre seulement 40% des non-bénéficiaires. Ainsi, les effets sur les compétences sont notables. Mais, quelques années après la fin de leurs études, près de 50% d’entre eux n’ont pas encore de travail stable, tout comme les non-bénéficiaires. Autrement dit, la bourse d’étude n’a pas encore de véritable écho sur le marché du travail. Seule évolution : une légère augmentation du revenu pour les filles. Toutefois, nous avons noté d’importants changements dans d’autres domaines, en particulier, un recul des grossesses adolescentes non-planifiées et une amélioration de la prévention santé. Mon voyage avait donc deux objectifs. D’une part, disséminer les résultats auprès des organisations nationales et internationales afin de les inciter à investir dans l’éducation : si le programme n’a pas d’effet direct sur l’emploi, il illustre tout de même l’impact de l’éducation secondaire sur les compétences personnelles et la vie sociale. En deuxième lieu, j’ai voulu comprendre les résultats mitigés en termes d’emploi et de revenu. Avec huit étudiants de Stanford, nous avons mené plusieurs centaines d’interviews pour comprendre la situation de ces jeunes sans emploi et plus largement celle de l’emploi au Ghana. De plus, nous allons suivre notre échantillon sur (au moins) 5 années supplémentaires, car il est probable que la situation évolue sur le long terme.
Propos recueillis par Camille Dugast
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Ce texte est issu de la Lettre PSE n°24
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Pascaline Dupas est Professeur Associée à Stanford University. Après l’ENS, puis le DELTA (l’un des laboratoires à l’origine de PSE), elle part visiter Harvard et le MIT où elle s’investit dans divers projets en économie du développement. Détachée auprès de l’Université de New York (NYU), elle y rédige sa thèse en économie du développement, qu’elle soutiendra en 2006 à l’EHESS et à PSE sous la direction de François Bourguignon. Elle devient ensuite Assistant Professor a Dartmouth College puis à UCLA avant de rejoindre Stanford en 2011.